Les terres des Hauts-de-France sont parsemées de cimetières britanniques, souvent perdus au milieu de la campagne, leurs stèles blanches dressées entre des rosiers et des buissons de fleurs. Mais savez-vous que ces lieux sont tous gérés et entretenus par un seul organisme, la Commonwealth War Graves Commission ? Et que la CWGC possède son centre d’entretien et de présentation au sud d’Arras ? Laissez-vous guider au cœur d’une organisation internationale grâce à un “centre d’interprétation” unique en son genre, au milieu des champs de bataille de la Première Guerre mondiale.
À Beaurains, près d’Arras, découvrez les rouages de l’une des plus importantes organisations de commémoration au monde.
La Commonwealth War Graves Commission
La CWGC commémore les 1 700 000 militaires des états du Commonwealth, hommes et femmes, décédés durant les deux Guerres Mondiales. Elle se charge de l’identification des soldats et de l’entretien des tombes, dans 23 000 cimetières du monde entier.
La Commonwealth War Graves Commission se consacre aux militaires morts durant les combats, mais aussi décédés des suites de blessures reçues ou de maladie contractée en temps de guerre. Elle s’occupe aussi des tombes des civils du Commonwealth décédés entre septembre 1939 et décembre 1947 “des suites d’une action ennemie, d’armes de guerre alliées ou dans un camp de prisonniers ennemis”.
Les cimetières les plus vastes se trouvent en France et en Belgique, ils ont été construits après la Première Guerre mondiale. Logiquement, le “Centre CWGC” est situé dans le nord de la France, au sud d’Arras.
Ce centre vous permet de découvrir les coulisses du travail de la commission.
Que voir à au CWGC Center ?
Votre visite commence par une courte vidéo qui explique l’histoire et le travail de la CWGC. Vous pouvez également visiter un poignant petit musée, mais ce sont les ateliers qui retiennent toute l’attention. Celles et ceux qui travaillent ici ne font pas un travail ordinaire. Ils prennent leurs responsabilités très au sérieux et sont particulièrement dévoués à leur mission.
À l’entrée du centre, vous vous munissez d’un audioguide gratuit qui vous guidera à travers chaque aspect du travail du centre. Autour d’une cour centrale, vous visitez une série d’ateliers aux façades vitrées :
– la fabrication des stèles : sculpture, gravure, installation, elles sont ensuite envoyées dans le monde entier
– la menuiserie : les cimetières accueillent souvent des bancs en bois, des portes, des porches et des balustrades
– la ferronnerie : les cimetières possèdent tous un portail en acier, et parfois des barrières
– l’horticulture : les cimetières sont de véritables “jardins du souvenir” et sont souvent très paisibles, très fleuris, et tout aussi bien entretenus que les célèbres jardins anglais.
Des pierres tombales sont produites ici pour les cimetières CWGC du monde entier (environ 4000 par an). Oui, du monde entier !
À intervalle régulier, les employés remplacent les pierres tombales qui ont été endommagées ou sont trop usées pour être réparées. Mais certaines pierres sont flambant neuves, pour les militaires découverts il y a peu de temps et que l’on vient d’inhumer.
Chacune des stèles comporte, du haut vers le bas : l’insigne du régiment auquel appartenait le militaire, son numéro de service, son nom, le nom de son régiment et/ou bataillon, la date de son décès et, s’il est connu, son âge au moment de son décès. Vient ensuite l’emblème religieux, s’il y a lieu, puis une épitaphe qui était choisie par la famille.
La Commonwealth War Graves Commission exhume les squelettes de soldats découverts lors de travaux ou dans des champs, puis les inhume (avec tous les honneurs) dans les cimetières. Il y a en moyenne 40 découvertes de corps chaque année.
Certains des objets qui ont été trouvés lors de la récupération de squelettes en France sont exposés, tel une plaque d’identité militaire ou des médailles religieuses. Ils permettent de comprendre quel genre d’indices permet de découvrir l’identité d’un soldat en vue de sa ré-inhumation dans l’un des cimetières militaires. C’est parfois une enquête digne d’un roman policier !
Dans l’atelier, de gros morceaux de pierre de Portland en provenance d’Angleterre attendent d’être transformés en pierres tombales sur lesquelles vont être gravés (au laser) le nom et le régiment des soldats. Il existe plus de 1000 badges régimentaires différents, rien que pour le Royaume-Uni et l’Irlande !
La CWGC construit donc encore des cimetières. Ainsi, un historien australien a découvert qu’une fosse commune de 250 soldats britanniques et australiens de la Première Guerre mondiale avait été creusée et cachée en Allemagne, puis a retrouvé les hommes enterrés là-bas. Ils ont été exhumés puis enterrés dans un cimetière militaire en 2009.
En juillet 2010, les 250 soldats britanniques et australiens qui avaient été identifiés à Fromelles ont été inhumés au cimetière de Pheasant Wood.
Et une extension fleurie a été créée juste à côté du cimetière militaire de Loos-en-Gohelle pour y enterrer en septembre 2024 des soldats découverts durant les travaux du nouvel hôpital de Lens. Les militaires qui seront découverts durant le creusement du futur canal Seine-Nord y seront également inhumés.
Chaque année, le CWGC Center propose des portes ouvertes durant le 8 mai et le 11 novembre, lors des Journées du Patrimoine (en septembre), et durant les journées des Métiers d’Art (début avril). Ce sont des journées passionnantes durant lesquelles les ouvriers et artisans présents vous expliquent le travail qu’ils réalisent avec enthousiasme et dévouement.
INFORMATIONS PRATIQUES
Adresse : 5-7 rue Angèle Richard 62217 Beaurains
Horaires : du lundi au vendredi, de 10h à 16h, de mars à novembre. Fermé les jours fériés, sauf le 8 mai et le 11 novembre.
Visite guidée en français le mercredi à 11h.
Tarifs : le centre est gratuit, le parking est gratuit. Accessible aux PMR.
Contact : cwgcexperience@cwgc.org ou 03 21 21 52 75
Pourquoi la Commonwealth War Grave Commission ?
La CWGC doit son existence à la vision et à la détermination d’un seul homme : Sir Fabian Ware. Ni soldat ni politicien, Ware était néanmoins bien placé pour répondre à la réaction du public face aux énormes pertes de la guerre.
Âgé de 45 ans au début du conflit, il était trop âgé pour combattre pendant la Première Guerre Mondiale. Il se porta volontaire avec la Croix-Rouge britannique et devint commandant d’une unité hospitalière mobile, mais son attention se tourna rapidement vers ceux qui avaient été tués. Il s’inquiéta de l’absence de moyen ou de mécanisme officiel pour marquer et enregistrer l’emplacement des milliers de tombes. Soutenu par un officier supérieur de l’armée britannique, il décida alors de fonder une nouvelle organisation dont ce serait la tâche.
Sous sa direction, son unité commença à enregistrer et à prendre soin de toutes les tombes qu’elle pouvait trouver. En 1915, leur travail fut officiellement reconnu par le War Office et incorporé dans l’armée britannique sous le nom de Graves Registration Commission.
Fabian Ware comprit qu’un plan à long terme serait nécessaire et œuvra pour convaincre les autorités du besoin urgent d’une Commission qui pourrait travailler à travers les frontières géographiques et en coopération avec tous les pays alliés. En mai 1917, fut fondée la Imperial War Graves Commission (Commission impériale des sépultures de guerre), présidée par le prince de Galles.
Le travail de la Commission commença réellement après l’Armistice. Une fois les emplacements des cimetières officiellement offerts par les différents pays où étaient tombés les soldats, l’énorme tâche d’enregistrement des morts commença.
En 1918, 587 000 tombes avaient été identifiées, mais 559 000 autres soldats n’avaient aucune tombe connue !
Depuis, “l’Imperial” est devenu le “Commonwealth”, mais les principes fondateurs de la Commission n’ont jamais changé :
– Chacun des morts doit être commémoré par son nom sur la pierre tombale ou le mémorial
– Les pierres tombales et les monuments commémoratifs doivent être permanents
– Les pierres tombales doivent être uniformes
– Aucune distinction ne doit être faite, ni de grade, ni de race, ni de religion
Ces principes provoquèrent parfois de véritables batailles avec certaines familles, en particulier celles qui se considéraient d’un “rang supérieur”.
L’une des exceptions à ces grands principes égalitaires était celle des inscriptions personnelles sur les pierres tombales. La Commission jugea qu’il était important que les familles puissent laisser une marque.
Ces quelques mots (limités à 66 caractères) devaient être approuvés par l’état, mais ils ne furent que rarement censurés. Ainsi, le père d’Albert Ingham, un jeune soldat fusillé pour désertion en décembre 1916 malgré sa bravoure et ses décorations, fut autorisé à inscrire sur la tombe de son fils : “Fusillé à l’aube. L’un des premiers à s’être enrôlé. Le digne fils de son père.” (Il s’agit de la seule pierre tombale parmi les 306 soldats britanniques exécutés qui indique la cause de sa mort comme “Fusillé à l’aube / pour l’exemple”).
Ils créèrent également une énorme charge de travail, car les tombes ou les corps des soldats durent être trouvés et de nombreux documents remplis pour garantir que chacun des milliers de morts était correctement identifié.
Lorsque des sépultures avaient été créées dans des cimetières, avec des tombes clairement marquées, les noms étaient simplement enregistrés. Mais c’était l’exception, car la plupart des tombes étaient éparpillées dans les régions où les batailles avaient été menées et, dans certains cas, à la fin de la guerre, des individus avaient été laissés là où ils étaient tombés, sans être inhumés.
Selon la CWGC elle-même : “Malgré la difficulté et le désagrément du travail, les équipes d’exhumation ont été méthodiques et méticuleuses dans leurs recherches. La plupart des membres avaient été dans le service actif et cherchaient minutieusement tout ce qui pourrait aider à identifier un camarade décédé. Néanmoins, les conditions du champ de bataille faisaient que bon nombre de ces indicateurs vitaux avaient été perdus et une proportion élevée des corps retrouvés est restée inconnue.”
En Belgique, par exemple, sur les 205 000 soldats de l’Empire britannique commémorés, environ la moitié n’a jamais été retrouvée ou sont enterrés sans être connus. Ils n’ont cependant pas été oubliés. Leurs noms figurent sur quatre grands monuments aux disparus (la Porte de Menin à Ypres, le Mémorial du Tyne Cot Cemetery à Zonnebeke, le Monument à la mémoire des disparus de Ploegsteert et le mémorial de Thiepval).
Compte tenu de l’ampleur et de la complexité de la tâche, il n’est pas surprenant qu’il fallut attendre 1938 pour que la Commission complète sa tâche.
Les employés ne savaient pas qu’ils allaient recommencer à peine quelques années plus tard…
Architectes et conseiller littéraire
Trois des architectes les plus éminents de l’époque (Sir Edwin Lutyens, Sir Herbert Baker et Sir Reginald Blomfield) furent choisis pour concevoir et construire tous les cimetières et les monuments commémoratifs. Blomfield eut l’idée de dresser une “croix du Sacrifice” (une grande croix blanche sur laquelle est fixée une épée pointée vers le sol, également appelée “croix de Saint Georges”) et Lutyens inventa la “pierre du Souvenir” (des rectangles de pierre blanche massifs situés dans les plus grands cimetières).
Cela explique la ressemblance et l’harmonie qui règne dans ces cimetières qui se ressemblent tous.
Pour le fleurissement, les architectes furent aidés par les Jardins botaniques royaux de Kew (un centre de recherche botanique réputé) et Lutyens collabora avec Gertrude Jekyll (une grande paysagiste de l’époque) pour créer de véritables “jardins du Souvenir”.
L’écrivain Rudyard Kipling (auteur du “Livre de la Jungle”) fut chargé, en tant que “conseiller littéraire”, de recommander quelles inscriptions seraient gravées. Il choisit la phrase biblique, “Leur nom vit pour toujours” (Their Name Liveth For Evermore) pour les pierres du Souvenir et la phrase “Connu de Dieu” (Known unto God) pour les pierres tombales des militaires non identifiés.
Au début de la Première Guerre mondiale, comme de nombreux autres écrivains, Kipling avait écrit des brochures et des poèmes soutenant avec enthousiasme la guerre contre l’Allemagne, qu’il considérait sincèrement comme une guerre du Bien contre le Mal, de la Civilisation contre l’anéantissement. Les histoires de Kipling avaient été particulièrement populaires auprès du peuple britannique, car il glorifiait l’armée et l’héroïsme des soldats. Il était aussi l’auteur du célèbre poème “If” (Si), évocation du courage et de la vertu britanniques, qui se termine par la phrase “Tu seras un homme, mon fils.”
Le fils de Kipling, John, qui s’était engagé pour démontrer sa bravoure malgré son jeune âge et sa frêle stature, est mort durant la bataille de Loos, en 1915, à l’âge de 18 ans. Il avait d’abord été récusé à cause de sa très mauvaise vue, mais Rudyard Kipling avait usé de ses contacts dans l’Armée pour qu’il soit malgré tout admis dans les Irish Guards. Il a été dévasté par sa mort et a passé le restant de son existence à chercher son corps, perdu durant la bataille.
Le corps de John Kipling a finalement été identifié en 1991 grâce à un long travail de recherche dans les archives des Irish Guards et divers documents. Il est situé dans le cimetière britannique St. Mary de Haisnes-lez-la-Bassée, érigé à l’emplacement d’un ancien poste de secours britannique.
Cet article vous a plu ? Gardez-le ou partagez-le.