Coups de coeur

Le musée Bullecourt 1917, mémoire des combats

Situé entre Arras et Cambrai, le “musée Bullecourt 1917 – Jean et Denise Letaille” rend hommage aux milliers de soldats venus défendre le secteur d’Arras en 1917. Ce très émouvant musée, érigé grâce à l’élan de quelques habitants, nous plonge dans l’intimité de la bataille au travers des effets personnels et des photos des soldats.

Le musée s’appelle “Bullecourt 1917 – Jean et Denise Letaille”, car c’est à ce couple d’agriculteurs que l’on doit l’impressionnante collection d’objets présentée dans le bâtiment. Ils les ont découverts dans leurs champs et dans la campagne alentour, sur l’ancienne ligne de front. Des armes, des rasoirs, des peignes, des boucles de ceintures, des étuis à cigarettes qui ont appartenu à des soldats australiens, allemands et britanniques, tombés au cours des deux batailles de Bullecourt, lors de l’offensive d’Arras en avril et en mai 1917.

Le souvenir de la bataille de Bullecourt

Dans les années 1970, les agriculteurs locaux trouvaient des insignes de chapeau “soleil levant” et des insignes d’épaule australiens dans les champs labourés autour de Bullecourt, alors que personnes ne se souvenait des combats de ces troupes à cet endroit. Le 11 avril 1917, plus de 3200 soldats venus du bout du monde étaient pourtant morts ou avaient été blessés en quelques heures dans ce coin de l’Artois.
Au total, les pertes humaines se chiffrent, côté Alliés, à près de 7000 Britanniques et pas loin de 11000 Australiens. De leur côté, les Allemands comptent 10000 morts dans leurs rangs.

Claude Durand, instituteur local, a alors commencé à traduire le récit d’un soldat survivant de la bataille, Charles Bean. Il a été frappé par l’ampleur des pertes britanniques et australiennes et s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de mémorial local. Avec le maire, Jean Letaille, il a lancé une campagne pour en construire un. Les fonds ont été collectés localement et le mémorial a été inauguré en mai 1981 pour que la ville de Bullecourt puisse témoigner de sa reconnaissance à tous ces soldats.

L’ambassadeur australien John Rowland a assisté à la cérémonie et a encouragé les locaux (Claude et Colette Durand, Edmond Delattre, Jean Lacour et Jean et Denise Letaille) dans leurs recherches, leur apportant son soutien au point de faire renaître le souvenir des Australiens à Bullecourt et à Villers-Bretonneux. En effet, même les Australiens avaient oublié la participation de leur troupe à la sanglante bataille de Bullecourt !
Les Français ont commencé à recevoir des lettres de familles de soldats australiens disparus durant le conflit et qui n’avaient pas de tombe connue.

Une Croix aux Disparues, dédiée aux 2423 soldats australiens qui ont été tués mais dont les corps n’ont jamais été retrouvés, a été inaugurée en avril 1982. Des familles australiennes ont placé de petites plaques de métal sur les pierres du cairn à la mémoire de leurs proches.
Puis, en 1990, le gouvernement australien a décidé de construire un petit parc commémoratif sur un terrain offert par Jean Letaille. En 1992, y a été placé une statue en bronze en hommage aux soldats australiens morts à Bullecourt. On doit au sculpteur australien Peter Corlett, fils d’un combattant de la Grande Guerre, le visage de ce soldat : il est inspiré de son père.
Enfin, face à la mairie, le monument aux Britanniques et aux Australiens présente une réplique en bronze du célèbre chapeau à bord retourné porté par les Australiens et un morceau de chenille d’un tank qui a participé à la reprise de Bullecourt en mai 1917.

En 2010, un panneau expliquant le déroulement des batailles a été installé à côté de l’église, face à la mairie et au monument aux morts, à l’initiative du Souvenir français.

Le musée de Bullecourt 1917

Jean et Denise Letaille avaient donc minutieusement glanés, durant des années, de très nombreux objets militaires. Le couple avait créé un petit musée dans une grange, qu’il faisait visiter à ses heures perdues. A partir de 2010, peu avant le décès de Jean Letaille qui avait fait don de sa collection à la ville, le projet d’un musée de la bataille de Bullecourt a vu le jour.

En association avec le ministère australien des anciens combattants et le Conseil régional, le musée a triplé sa surface d’exposition. Le nouveau bâtiment a été inauguré le 25 avril 2012, jour anniversaire de l’ANZAC Day (qui commémore la contribution des Australiens et des Néo-Zélandais à la Grande guerre).

Le musée se décline en trois espaces distincts : dans l’entrée, l’espace d’accueil des visiteurs puis deux volumes que sont l’ancienne grange de Jean et Denis Letaille, qui accueille l’aspect historique et matériel des batailles, et, l’ancienne étable transformée en espace mémoriel, en souvenir des militaires morts ou blessés à Bullecourt.

La collection Letaille comporte de nombreuses armes, munitions, pièces d’uniformes, ustensiles, etc., mais le ministère australien des anciens combattants a également fourni des uniformes, des films et des photographies d’époque.

Partout, des panneaux expliquent le déroulement des événements et replace chaque objet dans son contexte, retraçant les combats ayant eu lieu à Bullecourt durant le printemps 1917.

De grandes dalles tactiles permettent aux visiteurs d’obtenir, à l’aide de photographies, de documents et de vidéos, des informations complémentaires sur les batailles de Bullecourt, mais aussi les autres batailles auxquelles les Australiens ont participé sur le front Ouest.

Vous pouvez aussi utiliser un audio-guide où Jean Letaille, précédent propriétaire des lieux et de la collection, décrit d’une voix douce mais fervente, les éléments visibles dans les vitrines. J’ai trouvé que c’était une idée formidable et très émouvante que ce soit sa voix qui accompagne le visiteur dans ce lieu chargé d’émotion.

La visite commence par l’histoire des deux batailles, racontée de part et d’autre d’un long amoncellement de vestiges de tranchées : une mitrailleuse lourde, des bonbonnes de gaz éventrées, des rouleaux de fil barbelé, des seaux, des lances grenades, des casques, des manches de pioches, des crosses de fusils, un amas d’obus, des fers à cheval…

Des segments de chenilles et une tourelle de tank britannique “Mark II”, datant de la seconde bataille de Bullecourt, en mai 1917, représentent les pièces les plus volumineuses exposées.

Car c’est durant la bataille d’Arras qu’a eu lieu l’une des toutes premières utilisations des tanks dans l’histoire.

Les objets originaires d’Australie, d’Allemagne et du Royaume-Uni racontent surtout l’histoire et la vie quotidienne des soldats qui ont combattu sur ces quelques kilomètres de terre.

Étuis à cigarettes, peignes, rasoirs, dés, cartes à jouer, fourchettes… Chaque pièce révèle un parcours, une histoire vécue.

Cette partie du musée souligne aussi la dureté des combats : si plus de 2400 soldats australiens n’ont jamais été retrouvés et les blessés ont été très nombreux, c’est que leurs corps ont été déchiquetés par les pluies d’obus…

La bataille de Bullecourt a vu l’intervention des chars, mais les combats ont aussi été livrés au corps à corps, à l’aide de gourdins, de massues, de couteaux…

La seconde partie du musée est un hommage poignant à nos alliés Australiens, ainsi qu’aux familles endeuillées.

Si aucun soldat français n’est mort durant les deux batailles de Bullecourt, plusieurs d’entre eux étaient originaires du village, dont Marcel Lacourt et Jean Tabary, tous les deux décédés dans la Marne en 1915.

Dès l’entrée dans cette pièce, vous avez l’opportunité de découvrir le champ de bataille de Bullecourt à 360° grâce à des lunettes de réalité virtuelle, en survolant les chemins et les terres agricoles où les soldats de la Grande Guerre ont combattu. Le parcours, entièrement commenté, vous permet de comprendre la situation des forces en présence et l’étendue des zones de combats.

Une grande table centrale, où sont présentées les photos et les effets personnels de quelques soldats identifiés, est encadrée d’une rangée d’étagères où s’entassent des objets ayant appartenus aux combattants et de l’artisanat de tranchée.

Les noms des soldats identifiés s’égrènent sur le mur du fond et une grande tablette tactile permet de chercher un nom de soldat afin de découvrir son parcours, son passé en Australie, sa famille…

Des photos, l’air martial ou avec un léger sourire, des lettres emplies de l’espoir de revoir ses proches, un télégramme annonçant le décès… Les visages de ces jeunes hommes semblent datés d’hier.

Sur le mur de gauche, les photos de certains soldats et officiers figurent aussi, agrandies et accompagnées d’un texte les présentant.
Ainsi, le lieutenant James Cant, un britannique dont les parents avaient émigré en Australie lorsqu’il était enfant. Dirigeant d’une mine de charbon dans le civil, il était marié et un avait un fils. James Cant s’est engagé dans les Forces armées australiennes en septembre 1915. Intégré au 19th Australian Infantry Battalion, il a particpé à la première bataille de Bullecourt et a trouvé la mort lors de la seconde bataille de Bullecourt, le 3 mai 1917, à l’âge de 34 ans.
Et le soldat Léon Auguste Pageot qui, comme son nom l’indique, était né en France, à Dijon. Créateur du bijou, il s’était installé à Londres. Il a réalise l’emblème Royal des Postes présent aujourd’hui encore sur les boites aux lettres rouges du Royaume-Uni. Marié et père de deux enfants, il a été appelé sous les drapeaux en 1916. Il a été tué le 21 mai 1917 à Bullecourt, à l’âge de 26 ans. Il n’a pas de tombe connue.

Le sergent John White, né en Australie, forgeron, marié et père de deux jeunes enfants, s’est engagé en février 1916. Membre du 22nd Australian Infantry Battalion, il a été porté disparu le 3 mai 1917, à l’âge de 28 ans, et son corps n’a été retrouvé qu’en novembre 1994, par un agriculteur qui labourait son champ juste derrière le parc commémoratif australien de Bullecourt. Il avait sur lui un portefeuille contenant, entre autres, les fragments encore lisibles d’une lettre et une mèche de cheveux de sa fille.

Le célèbre major Harry Murray, né en Tasmanie, a participé à la bataille de Bullecourt. Décoré entre autre de la Victoria Cross (la plus haute décoration pour bravoure qui puisse être décernée aux membres du Commonwealth), Murray est passé du rang de simple soldat à celui de lieutenant-colonel en trois ans et demi. Peu après avoir reçu la Victoria Cross, il a été promu major et a obtenu une nouvelle médaille lors de la bataille de Bullecourt. Il est souvent décrit comme le soldat d’infanterie le plus décoré de l’Empire britannique pendant la Première Guerre mondiale.
Le major Percy Black, Australien et ami d’Harry Murray, a eu moins de chance. Il a été tué à Bullecourt alors qu’il tentait de trouver une brèche dans les barbelés entourant les tranchées allemandes. Son corps n’a jamais été retrouvé malgré les recherches acharnées de son ami Murray. Avant la guerre, il avait été prospecteur lors de la ruée vers l’or en Australie occidentale. A l’âge de 36 ans, il s’était enrôlé comme simple soldat dans les Forces armées impériales australiennes dès 1914. Il avait lui aussi été décoré à plusieurs reprise et était monté en grade grâce à son courage sur le terrain.

Bon à savoir :
– Visite audioguidée disponible en français et en anglais. Durée de la visite : 50 minutes.
– Livret-jeu disponible en français pour les enfants (8 – 12 ans).
– Visite guidée pour les groupes (adultes et scolaires) sur demande et sur réservation.
– Parking gratuit devant le musée et sur le parking de l’Église situé à 100 mètres, rue de Douai.
– Site accessible à 100 % aux personnes à mobilité réduite.
– Les animaux sont interdits au musée, à l’exception des chiens guides d’aveugle. 

Depuis 2015, le musée est labellisé Qualité Tourisme. Il accueille chaque année des milliers d’Australiens, des passionnés d’histoire ou de simples curieux agréablement surpris par l’émotion qui ce dégage des lieux.

INFORMATIONS PRATIQUES

Adresse : 1bis, rue d’Arras 62128 Bullecourt

Horaires :

D’octobre à mars, de 13h30 à 17h30. D’avril à septembre, de 10h à 12h30 et de 13h30 à 18h.
Fermeture annuelle de mi-décembre à mi-janvier et jours fériés (1er mai – Jeudi de l’Ascension – 14 juillet – 15 août)

Tarifs :
Tarifs individuel incluant l’audio-guide.
Plein tarif : 5 €. Tarif réduit (12-17 ans, étudiant, demandeur d’emploi) : 3 €. Moins de 12 ans, personne en situation de handicap  : gratuit (par chèque ou espèce, pas de carte bleue).

Le village a été totalement rasé durant la Grande guerre, puis reconstruit dans les années 1920/1930. Il est reconnu comme “Village Patrimoine”. Vous pourrez donc y découvrir quelques beaux bâtiments de style Art déco, notamment la mairie, mais aussi des fermes artésiennes et son église avec son clocher-porche en grès. Depuis la place du village, un chemin de randonnée (le “Sentier des Australiens”, 8km) permet d’en apprécier les charmes, sans jamais oublier son histoire.

Les soldats australiens sont aussi commémorés à Fromelles (musée, mémorial, cimetières) et à Villers-Bretonneux (excellent Centre Sir John Monash).
Vous pouvez aussi pousser vers l’est et passer un week-end à Arras, où visiter la carrière Wellington, ou aller à l’est et passer un week-end à Cambrai.

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2 commentaires

  1. Que dire ? Merci infiniment.

    1. Merci à vous. Très heureuse que l’article vous intéresse !

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