Vous ne pourrez que remarquer l’église de Masnières en passant devant ! Située dans le cambrésis, le long du canal de Saint-Quentin, cette ville a été fortement marquée par la Grande Guerre, au cours de laquelle elle a été détruite. L’église, reconstruite à partir de 1927, mélange singulièrement les styles et les époques, et attire les yeux tant par son imposante façade que par ses vitraux très modernes.
Masnières est une surprenante petite ville du Cambrésis qui est longtemps resté un bourg rural. Mais l’ouverture du canal de Saint-Quentin vers 1810 a favorisé l’industrialisation de la commune, qui a connu un bel essor… jusqu’à ce qu’elle soit ravagée par la Grande Guerre. Non seulement Masnières se trouvait au beau milieu de la bataille de Cambrai, mais les Allemands avaient décidé en 1917 de raser tous les bâtiments élevés pour éviter qu’ils ne servent au réglage de l’artillerie britannique.
Fin 1918, les Masnièrois ont réinvesti leur village en ruines. Les habitants et le maire, Gabriel Delmotte, se sont attelés à la reconstruction en commençant par les écoles.
La ville s’est ensuite dotée d’une mairie, de bâtiments publics et, grâce à des dons privés et des fonds pris sur les dommages de guerre, on a reconstruit l’église à l’emplacement de l’ancienne.
Avant la Première Guerre mondiale, Masnières possédait une église Saint-Martin datant du 16e siècle, plusieurs fois remaniée, en particulier au milieu du 19e siècle.
En 1927, les édiles de Masnières, hésitant entre une reconstruction à l’identique et une création nouvelle, ont finalement choisi de confier la réalisation de l’édifice à Pierre Leprince-Ringuet, un célèbre architecte parisien qui réalisa de nombreux bâtiments au lendemain de la Première Guerre mondiale. Et Leprince-Ringuet a décidé de créer une église Saint-Martin moderne tout en rendant hommage à l’église passée : un édifice à la fois “Art déco” et “néo-gothique”.
Pierre Leprince-Ringuet (1874 – 1954) s’est montré très prolifique entre les deux guerres mondiales. Hôtels particuliers et immeubles à Paris, villas, châteaux dans le Nord, monuments aux morts, églises… Il a notamment reconstruit une grande partie du centre-ville de Cambrai, a créé la “Fondation des États-Unis” dans la Cité internationale universitaire de Paris (1929), les laboratoires de l’École centrale, Maison des Mines et des Ponts et Chaussées à Paris (1932), les ateliers Michelin à Londres et le Musée national de Beyrouth (1932-1937). Il a réalisé les succursales de la Banque de France à Solesmes et au Cateau-Cambrésis (1922).
Quatre autres églises du Cambrésis ont été reconstruites sous sa direction : Abancourt, Flesquières, Villers-Plouich et la Vacquerie.
En parvenant devant l’église Saint Martin de Masnières, on est frappé par sa façade qui, c’est peu de le dire, sort de l’ordinaire !
Leprince-Ringuet, comme nombre d’architectes de l’Art Déco, a choisi de mêler la brique et le béton armé. L’entrée est magnifiquement structurée et décorée des statues du sculpteur Marcel Gaumont avec qui l’architecte avait l’habitude de travailler. Elle est dominée par la flèche ajourée du clocher.
Logiquement, Marcel Gaumont a représenté Saint-Martin sur la façade (un cavalier romain qui a “donné son manteau à un pauvre”), mais la sculpture, qui sort littéralement du fronton, est à taille réelle. Les quatre évangélistes sont représentés par leur animal symbolique. Au-dessus de la porte d’entrée (et ses magnifiques ferronneries), les moulures, plus simples, semblent provenir du début du Moyen Âge… On remarque également le lion du Cambrésis entouré de deux femmes encapuchonnées.
Ces sculptures en béton moulé ont été réalisées par Marcel Gaumont selon un procédé qu’il a lui-même mis au point.
Marcel Gaumont, représentant de l’Art déco, a réalisé de nombreux monuments aux morts dans les années 1920-1930 (dont celui de Laon), ainsi que les quatre sculptures qui ornent les angles du beffroi de Cambrai, le baptistère et la chaire de la cathédrale d’Arras, des sculptures pour l’église Saint-Martin d’Abancourt (elle aussi construite par Leprince-Ringuet), des sculptures pour la façade du musée d’art moderne de Paris…
L’intérieur de l’église Saint Martin de Masnières est tout aussi surprenant.
Les dimensions de l’ancienne église ont été reprises, environ 40 mètres de long sur 19 mètres de large. On remarque dès l’entrée le style néo-gothique avec des ogives marquées, les colonnes fines, ainsi que le mélange plus moderne entre le béton nu et les briquettes de parement rosées.
L’église Saint-Martin est plus haute que son aînée. Le béton armé a permis d’élever les voutes jusqu’à 17 mètres de hauteur pour la nef principale.
L’architecte a mis en place de grands principes de ce nouvel édifice, assez représentatifs de l’Art déco : épuration des formes, simplification des lignes, fusion de l’espace à l’intérieur de l’église. On peut considérer l’ensemble assez austère, je le trouve plutôt élégant.
La finesse des lignes et la très belle luminosité donnée par les vitraux se complètent parfaitement. Les vitraux ont été dessinés par Pierre Leprince-Ringuet lui-même et ont été réalisés dans les ateliers des maîtres verriers Lecourt et Mazard.
Le maître-autel reprend la forme de l’église de manière simplifiée, avec une ogive gothique au centre, alors que les véritables voutes qui l’entourent sont arrondies (rappelant le style roman).
Le béton armé a été laissé “nu” par l’architecte à de nombreux endroits de l’église, comme pour revendiquer l’utilisation de ce matériau moderne. Toutefois, le béton de la reconstruction n’était sans doute pas assez “riche”. Les infiltrations et le gel ont provoqué l’altération et le gonflement des fers, entraînant le décollement et la chute de la partie superficielle des revêtements en ciment.
La ville de Masnières a donc procédé à d’importants travaux dans les années 2010 pour remettre l’église en état.
Le peintre et sculpteur Paul Simon, qui fut élève de Leprince-Ringuet aux Beaux-Arts, a peint en 1925 le chemin de croix (inscrit aux monuments historiques).
Les vitraux de l’église Saint Martin de Masnières
Eux aussi sont classés aux Monuments historiques. Et pourtant, ils sont d’une incroyable modernité. On se croirait devant des personnages de bande dessinée moderne. Restaurés par les ateliers Brouard de Ronchin dans les années 2010, les vitraux répandent dans toute l’église Saint-Martin leurs couleurs chatoyantes et leur lumière.
Les vitraux représentent quasiment tous des saints et de grands thèmes de la Bible.
Jeanne d’Arc et Sainte Thérèse de Lisieux :
Saint Amand et Saint Waast : la partie supérieure représente l’évangélisation
Saint Bernard et Saint Ghislain : la partie supérieure représente la prêche de la 2e croisade.
Saint Roch et Sainte Barbe, Saint Paul et Saint Pierre.
Saint Luc et Saint Mathieu :
Les Archanges Saint Raphaël et Saint Michel, avec, dans la partie supérieure, la lutte contre les démons.
Dans le chœur de l’église, les vitraux sont abstraits, mais tout aussi colorés.
Pierre Leprince-Ringuet a souvent travaillé avec des amis ou des artistes qu’il appréciait : Paul Simon a sculpté les monuments aux morts d’Abancourt et Flesquières, Marcel Gaumont a travaillé pour les églises d’Abancourt, Flesquières et Villers-Plouich, tout comme les maîtres verriers Lecourt et Mazard.
INFORMATIONS PRATIQUES
Adresse : place de l’église 59241 Masnières
Horaires : l’église est ouverte le week-end et durant l’été.
Tarif : gratuit
Puisque vous êtes dans le coin, faites quelques kilomètres plus au sud pour visiter la superbe Abbaye de Vaucelles, un havre de paix au milieu de la nature. Ou, montez vers le Nord, jusqu’à la belle ville de Cambrai, pour y passer un week-end. Vous pouvez aussi découvrir le Cambrai Tank 1917, un musée de la bataille de chars, à Flesquières.
Si vous aimez les églises originales, je vous conseille aussi l’église Saint-Chrysole de Comines, au nord de Lille, à la fois néo-byzantine et art déco. Et si vous appréciez les églises de style art déco, allez faire un tour dans le sud de Laon, vous y trouverez des bijoux.
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