Coups de coeur

Les églises Art Déco au Sud de Laon, joyaux en terre picarde

La Picardie a été l’une des régions les plus meurtries par la Première Guerre mondiale et près de 800 églises ont été détruites durant cette période. Si la plupart d’entre elles ont été reconstruites, seule une minorité a fait l’objet d’un traitement architectural ambitieux et original. Au sud de Laon, plusieurs églises ont été reconstruites dans un style totalement différent, l’Art Déco, que ce soit par petites touches ou par le biais d’œuvres d’art totales et radicales.

Ces perles architecturales sont souvent méconnues du grand public. Loin des circuits touristiques traditionnels, elles offrent un fascinant témoignage du style Art déco appliqué à l’architecture religieuse. Vous pouvez partir à la découverte des nombreuses églises de la Reconstruction tout au long de la Vallée de l’Ailette. Toutes disposent de détails et de mobiliers, de chemin de croix, de baptistères, de vitraux ou d’objets cultuels de style Art Déco. Pendant le Printemps de l’Art Déco, entre avril et mai, et les Journées du Patrimoine, en septembre, nombre de ces églises sont ouvertes à la visite (parfois guidée).

Dans cet article, je vais vous en présenter trois, celles qui m’ont le plus marqué lors de mon séjour dans le Laonnois. Deux de ces églises Art Déco, Saint-Martin de Martigny-Courpierre et Saint-Martin de Monthenault, sont très connues, mais celle de Monampteuil a aussi son petit charme.

L’église Saint-Martin de Martigny-Courpierre

L’église Saint-Martin de Martigny-Courpierre est tout simplement un chef-d’œuvre parmi les églises de la Reconstruction. Vous allez être subjugués par les fresques, les mosaïques, les vitraux et le superbe clocher porté par des anges. Elle affiche fièrement son style Art Déco, sa modernité et ses décors grandioses.

Comme de nombreuses églises du département de l’Aisne, l’église de Martigny-Courpierre, qui datait de 1161, a été détruite durant le conflit. À proximité du chemin des Dames, les villages n’étaient plus que des amas de pierres. L’offensive Nivelle (avril 1917) avait fini d’anéantir l’abbaye de Vauclair
Particulièrement représentative du renouveau de l’art sacré, l’église a été reconstruite en béton armé entre 1929 et 1932 par Albert-Paul Muller, un architecte vosgien qui a participé à la reconstruction de plusieurs églises de l’Aisne.

Muller a manié le béton en sculpteur pour obtenir des effets décoratifs géométriques dans la structure même de l’édifice, le tout se conjuguant avec la pierre calcaire locale.

L’église, faite de pierre de taille et de béton, est surmontée d’un clocher dont la flèche “dentelle” en béton est portée par six anges-colonnes en ciment moulé, dont on distingue les plis de robes et (moins) les lignes des ailes. Leurs bras levés supportent une couronne de laurier.
Ces sculptures-moulures sont l’œuvre d’Emile-Just Bachelet, un artiste originaire de Nancy qui réalisa, entre autres, des bas-reliefs pour l’Exposition coloniale de 1931 et les Expositions universelles de 1935 et de 1937.

photo issue du site de l’Office du tourisme du Laonnois

Müller a expliqué qu’il voulait que la flèche jaillisse d’un robuste porche carré, imposant, pour qu’il affirme une volonté d’ancrage dans un terroir dument disputé lors du récent conflit, et une union entre la terre et le ciel.

En face de l’église est planté un panneau explicatif du circuit “Pays de Laon par monts et merveilles” retraçant l’histoire du village et sa destruction durant la guerre.

Le monument aux morts de 1914-1918, dessiné par Müller, est, lui aussi, de style Art Déco. On y distingue les visages de soldats des différentes armes, sculptés par Emile-Just Bachelet (qui a sculpté la flèche de l’église).

Préparez-vous à lâcher un “Whouaaaah” en entrant dans l’église, car vous n’en avez sans doute jamais vu de semblable. Les décors sont stupéfiants, les murs sont couverts d’une couleur ocre qui vous enveloppe et l’église est baignée de lumière, grâce à de grands vitraux à dominante rouge qui filtrent les rayons du soleil pour plonger l’espace dans une atmosphère colorée et chaleureuse.

Dans la voûte du chœur, la représentation du Christ en gloire est entourée par les apôtres et surmontée d’une phrase en latin signifiant “C’est moi qui suis la voie, la vérité et la vie. Personne ne vient au Père, si ce n’est par moi.”

Toutes les fresques de l’église, peintes directement sur le ciment des murs, sont l’œuvre d’Eugène-Jean Chapleau, un peintre breton postimpressionniste inspiré par le fauvisme (formes simplifiées, couleurs, contours marqués).

Le chemin de croix est peint dans la nef et les transepts.

Tout est dans le détail : remarquez les luminaires intégrés harmonieusement aux chapiteaux des colonnes.

Les vitraux ont été réalisés par l’Atelier Barillet – Le Chevallier – Hanssen, un trio d’artistes qui a collaboré jusqu’au début des années 1940.
La production de vitraux et de mosaïques de l’atelier Louis Barillet a symbolisé le renouveau du vitrail moderne en France dans l’entre-deux-guerres et marqué nombre d’édifices du style Art Déco. Pour l’anecdote, Barillet a fait appel en 1932 à l’architecte Robert Mallet Stevens (qui a créé la villa Cavrois à Croix) pour construire sa demeure et son atelier.
Jacques Le Chevallier était artiste peintre, vitrailliste, décorateur, aquarelliste, illustrateur et graveur.
Théodore-Gérard Hanssen était un maître-verrier belge, qui s’intéressa notamment au mouvement artistique du Bauhaus allemand.

Les vitraux, en forme de croix, sont enchâssés dans une structure en béton. Dans le transept sud, le vitrail le plus bas représente un français et un allemand enlacés et la phrase “Aimez-vous les uns les autres”. Les vitraux de la nef sont horizontaux, totalement géométriques et à dominante rouge.

Les céramiques sont l’œuvre de Maurice Dhomme : spécialiste de la céramique architecturale, il a obtenu le Grand prix à l’Exposition internationale des Arts décoratifs en 1925 et a participé à la décoration de nombreux monuments et églises. La chaire est décorée d’un pélican nourrissant ses petits, un symbole chrétien.

Il a créé un maître-autel rehaussé d’un saisissant tableau en céramique coloré représentant les quatre évangélistes entourés d’anges. Les deux phrases en latin signifient “Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté”, un message de paix qu’on retrouve souvent dans les églises de la Reconstruction.

La nef possède une voûte parabolique, une forme originale permise par l’emploi du béton et très appréciée par Müller.

La croisée du transept, décorée des quatre évangelistes, est sommée d’une coupole en béton translucide.

Cherchez, au plafond de l’une des chapelles, les visages des créateurs de l’église : l’architecte Albert-Paul Müller, au centre, entouré des artistes qui ont travaillé à la décoration de l’édifice.

En visitant cette église, les amateurs d’art comme les fidèles peuvent apprécier la façon dont le style Art déco a su insuffler un vent de modernité dans la tradition ecclésiastique .

L’un des rares vestiges subsistants de l’ancienne église du Moyen Âge sont les fonts baptismaux, sculptés de visages humains et de figures animales.

Aujourd’hui, l’église Saint-Martin de Martigny-Courpierre est plus qu’un lieu de culte ; elle est une œuvre d’art à part entière qui témoigne d’une période charnière de l’architecture française.

L’église Notre-Dame de l’Assomption de Monampteuil

Nichée dans le charmant village de Monampteuil, l’église Notre-Dame-de-l’Assomption, entourée de son cimetière, se dresse à quelques pas de la mairie. Cette église, bien que moins connue que les deux autres édifices que je vous présente, mérite une attention particulière pour son décor de style Art déco.

Le village, ravagé par la Grande Guerre, a été notamment reconstruit grâce au soutien du Comité américain pour les régions dévastées, qui a fourni les machines pour les moissons et les cloches de l’église.
La reconstruction de l’église a débuté en 1926 sous la direction de l’architecte Louis Faille (qui s’est principalement consacré à la reconstruction de l’Est de la Somme), et s’est achevée en 1929. Elle se distingue par son architecture extérieure sobre et élégante, mêlant des éléments néo-romans et néo-gothiques.

L’intérieur de l’église, tout aussi sobre, a été repensé et décoré en s’inspirant du style Art déco. Les vitraux, les mosaïques et le mobilier témoignent de cette influence : utilisation de motifs stylisés, équilibre entre la forme et la fonction, et recherche d’harmonie globale.

Les chapiteaux, les bancs en bois, le chemin de croix et l’autel, tous arborent des motifs Art déco, avec des lignes droites et des formes géométriques. Les différentes stations du beau chemin de croix en mosaïque sont reliées par une frise faisant le tour de l’église.

De chaque côté de la nef ont été créées d’élégantes et lumineuses chapelles en mosaïque, l’une
dédiée à la Vierge, l’autre consacrée à Saint-Rémi.

Les motifs végétaux de la chair sont très stylisés et, là aussi, très sobres.

Les vitraux, réalisés par le grand maître-verrier alsacien Jacques Gruber, sont particulièrement remarquables par leurs motifs géométriques et leurs couleurs chatoyantes. Au centre, les deux vitraux évoquent la vie de Saint-Rémi et, sur les côtés, les quatre évangélistes.

Une grande porte en fer forgé (aux motifs à spirales typiques de l’Art déco), au fond de l’église, ouvre sur les fonts baptismaux. La cuve de ceux-ci repose sur une grosse colonne centrale, avec quatre colonnettes plus modernes aux angles. La pierre baptismale provient très certainement de l’église détruite.

L’église de Monthenault

L’ancienne église Saint-Martin de Monthenault, très simple, datait de 1677. Située à proximité de la ligne de front, elle a subi de nombreux bombardements et a été complètement détruite.
À l’instar de celles de Martigny-Courpierre, la nouvelle église de Monthenault a été édifiée par Albert-Paul Müller, entre 1932 et 1933. Construite en béton armé, d’une architecture sobre et intemporelle, cette église est d’une beauté et d’une originalité remarquable.

Le clocher, en ciment armé, est situé à gauche, avec une flèche ajourée de petites croix, comme une lanterne. La façade, massive et de forme triangulaire, est ornée d’un imposant bas-relief très stylisé qui a été réalisé par des élèves de l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris. Il représente un saint (sans doute Saint-Martin) qui prononce une messe devant des saintes et des anges.

En face de l’église, vous trouvez un autre panneau du circuit “Pays de Laon par monts et merveilles” qui raconte l’histoire du village et de son église.

À l’intérieur de l’église Saint-Martin, on retrouve une voûte parabolique en béton, visiblement apprécié par Albert-Paul Müller. Mais, si l’église de Martigny-Coupierre est baignée de couleurs chaudes, c’est le bleu qui domine à Monthenault. On a l’impression saisissante d’être enveloppé dans cette lumière bleutée, sereine, presque immergé dans l’océan.

L’église ne possède ni bas-côtés, ni transept. Les murs latéraux sont la particularité la plus étonnante de l’église : de véritables parois de lumière, car les verres colorés des vitraux ont été enchâssés dans le béton. Utilisant la technique de la dalle de verre, les maîtres-verriers Barillet-Le Chevallier-Hansen ont créé des vitraux d’une grande élégance et d’une parfaite cohérence artistique.

Chacun des vitraux, très stylisés, représente des apôtres ou des évangélistes dans des couleurs jaunes, mais les autres dalles de verre sont faites de motifs géométriques à dominante bleue.

À l’intérieur de l’église Saint-Martin, on retrouve un élément de l’ancienne église : la pierre tombale du chevalier Jean II de Chambly “seigneur de Monthenault, Pancy, Chamouille et Warsy”, mort en 1560 (d’une grande et noble famille originaire du Beauvaisis).

Le baptistère, très sobre, est situé non loin de l’entrée principale.

Le Chemin de Croix et les peintures murales ont été créés avec beaucoup de raffinement par Eugène-Jean Chapleau, auteur de nombreuses fresques religieuses.

Chaque station du chemin de croix, réalisées dans des couleurs rappelant celles des vitraux, est séparée de la suivante par des motifs géométriques.

Sous les vitraux du chœur, Chapleau a peint des anges entourant un calice devant des épis de blé et une grappe de raisin, symboles chrétiens de l’eucharistie.

Ce monument est un exemple remarquable de la manière dont les tendances artistiques peuvent transformer et enrichir les espaces de culte, en les dotant d’une nouvelle dimension esthétique et spirituelle.

L’église est un édifice rare à la décoration unique, qui témoigne de l’histoire et du savoir-faire des artistes et artisans de l’entre-deux-guerres.

Ces trois églises Art déco sont plus qu’un simple lieu de culte, elles sont un morceau d’histoire ancré dans la pierre et le verre, un espace de spiritualité enveloppé dans l’esthétique de l’Art déco. Pour les amateurs d’architecture, d’histoire et d’art, ces églises sont une destination à ne pas manquer lors d’une visite dans l’Aisne.

Si vous voulez découvrir d’autres églises Art Déco de Picardie, je vous recommande le livre d’Eric Boutigny, “Églises et clochers Art Déco de la Reconstruction“. Et si vous aimez les églises originales, visitez l’église Saint-Chrysole de Comines, inspirée à la fois par l’art romano-byzantin et l’art déco.

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1 commentaire

  1. Un très grand merci pour votre enthousiasme pour l’initiative du musée de l’école qui héberge les manifestations de Chevregny-Chemin des Dames. Et félicitation pour votre article très documenté. J’ai moi-même un vrai coup de cœur pour cette petite église méconnue de Monampteuil qui n’est référencée nulle part. Cette année 10 églises ouvrent encore. Nous avons déposé le guide de visite sur notre site.
    Par ailleurs, une conférence sur les églises de la reconstruction (“les églises art-déco : sacrées modernités !) a lieu ce samedi 20 avril à 14h30 ! (couplée avec une autre sur les écoles). Nous vous y attendons nombreux !

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