La petite ville de Croix, logée entre Lille et Roubaix, est peu connue en dehors de la métropole lilloise si ce n’est pour son joyau, la villa Cavrois. Considérée avant tout comme “la banlieue la plus huppée de l’agglomération lilloise”, cette commune mériterait que les visiteurs s’y attardent. Elle offre des bijoux d’architecture et de patrimoine, fruits du passage de grandes familles industrielles, ainsi que de jolis coins de nature à découvrir.
Petite histoire de la ville
Commençons par un peu d’Histoire, car les beaux bâtiments de la ville ont quasiment tous été construits à la même époque…
Au milieu du 19e siècle, la révolution industrielle parvint jusque Croix qui, comme les villes voisines de Lille, Roubaix et Tourcoing, vit fleurir les grandes usines textiles.
En 40 ans, de 1860 à 1900, la population de Croix passa de 2000 à 16000 habitants. Cet accroissement était dû à l’arrivée en 1852 du “peignage Holden”. Sir Isaac Holden (1807-1897) était un inventeur britannique qui développa des techniques pour peigner la laine qui firent sa fortune.
L’industriel marqua l’histoire de Croix durant presque un siècle (de 1850 à 1938), tant l’activité qu’il dirigea contribua au développement de la ville. Imaginez : le peignage Holden devint le principal producteur mondial de laine peignée ! On voyait de loin les huit cheminées érigées sur les usines Holden. En janvier 1888, l’une d’elles était même la plus haute cheminée d’Europe, avec ses 105 mètres.
On retrouve des traces du passage de cette famille dans plusieurs endroits de la commune. En 1862, les Holden se firent construire un véritable château, sur un terrain proche de leurs usines et du canal de Roubaix (il n’existe plus, malheureusement).
Mais ils ne furent pas les seuls industriels du textile qui se firent édifier un hôtel particulier.
L’hôtel de ville de Croix
L’hôtel de ville, entouré d’un parc parsemé d’arbres plus que centenaires (dont un hêtre pourpre de 150 ans), était auparavant surnommé “le château de la Croix Blanche”. Construit en 1878 pour Cyrille Ferlié (commissionnaire négociant en tissu à Roubaix et ami de la famille Cavrois), ce bel hôtel particulier est de style néoclassique en pierres blanches et briques.
La décoration de l’hôtel de ville est très ostentatoire avec des visages sculptés (typiquement flamands) et l’abondance représentée par… des cornes d’abondance. Le but du premier propriétaire était de montrer sa richesse.
Je n’ai malheureusement pas pu entrer dans la mairie, mais elle possède de très beaux plafonds peints et des vitraux magnifiques.
Lorsque Cyrille Ferlié mourut en 1902, sa fille vendit le domaine de la Croix Blanche à Henri Leclercq-Delaoutre, propriétaire de la filature de coton La Cotonnière implantée à Croix. Finalement, dix après le décès brutal de ce “grand patron” en 1914, l’hôtel particulier fut vendu à la commune et devint un hôtel de ville.
En face de l’édifice se dresse un très beau kiosque à musique. Auparavant situé dans le parc du château de la famille Holden, il fut offert à la ville en 1898 par l’héritier Isaac Holden-Crothers, qui n’en voyait plus l’utilité. Il se dressa sur la Gand-Place de 1900 à 1934, où il accueillit les concerts des nombreuses sociétés musicales et harmonies municipales, avant d’être définitivement “déménagé”.
Depuis 1998, de nombreux concerts sont donnés sur le kiosque à musique.
INFORMATIONS PRATIQUES
Adresse : 87 Rue Jean Jaurès 59170 Croix
De belles maisons
Un autre château, le “château Florin” (construit en 1880 pour l’industriel Auguste Florin, puis vendu à Henry Catteau) fut acheté par la commune et devint la “maison des Œuvres sociales” en 1938. De nos jours, c’est la “maison pour Tous” (ex “maison des Jeunes et de la Culture”). Le commissariat de police est logé dans l’ancienne conciergerie du château.
Dans cette même rue Jean Jaurès, vous croiserez d’autres jolies maisons aux styles variés.
Dans la rue située en face du parc de l’hôtel de ville, l’avenue Charles de Gaulle, s’alignent de belles maisons anglo-normandes, néo-flamandes ou Art Déco, édifiées pour des industriels du textile.
Les deux maisons situées au bout de la rue, en face du parc de l’Hôtel de Ville, ont toutes deux été érigées en 1913.
La Maison Delcourt, située au 18 bis avenue du Général de Gaulle, est la dernière réalisation de l’architecte américain Richard Neutra, en 1968. Inscrite à l’inventaire des monuments historiques depuis 2000, elle est cachée au bout d’une discrète allée de terre et ne peut être aperçue depuis la rue… Elle porte le nom de Marcel Delcourt, le patron des “3 Suisses”, qui a voulu une villa moderne de verre et d’acier. (La maison est en vente et pourrait être achetée par une collectivité ou un groupement privé afin de l’ouvrir au public.)
Mais une autre maison “moderne” est encore plus célèbre à Croix…
La villa Cavrois
S’il y a bien UNE belle maison à Croix, c’est ce petit bijou que vous ne devez pas rater.
La splendide “villa Cavrois” a été conçue en 1929 par l’architecte Robert Mallet-Stevens. Très moderne pour l’époque, dotée d’une surface habitable de 1840 m2, la villa a été occupée par la famille Cavrois (des industriels du textile) jusqu’en 1987. Elle a failli disparaître et a dû être entièrement restaurée pour retrouver son visage d’antan.
« Demeure pour une famille nombreuse. Demeure pour une famille vivant en 1934 : air, lumière, travail, sports, hygiène, confort, économie. Tel était le programme. Réalisation : grandes baies au midi pouvant s’ouvrir largement. Grandes surfaces vitrées donnant le maximum de clarté. Éclairage indirect puissant pour la nuit. Bureau, salles d’études permettant de travailler dans le calme. Salle de jeux, grande piscine extérieure pour nager et plonger. Nombreuses salles de bains, surfaces lavables, nettoyage par le vide, ventilation de tous les locaux suivant une hygiène complète. Téléphone, heure électrique, T.S.F., chauffage central avec thermostat, ascenseur procurent un confort agréable. Matériaux simples mis en œuvre avec un grand souci d’économie. C’est ainsi que fut exécuté le programme. »
La villa Cavrois est un véritable château contemporain, la création la plus aboutie de Mallet-Stevens, qui s’est occupé aussi bien du bâtiment que de la décoration ou des meubles.
INFORMATIONS PRATIQUES
Adresse : 60, Avenue du Président J.F. Kennedy 59170 Croix
Horaires : Tous les jours (sauf le lundi), de 10h à 18h. Fermée les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre.
Tarifs : Plein tarifs 9,50€ – Gratuit pour les moins de 18 ans, étudiants, handicapés, demandeurs d’emploi et Lille City Pass.
À côté de la villa, la commune de Croix a créé les Jardins Mallet-Stevens, un joli parc thématique de 2,5 hectares où chacun peut venir se détendre.
En savoir plus sur la Villa Cavrois et les Jardins Mallet-Stevens.
Dans la même rue que la villa Cavrois, vous pouvez également jeter un œil sur la villa Pollet et la chapelle du Croquet.
Créée pour famille Pollet (fondateurs de l’entreprise de vente à distance “La Redoute”), cette villa de style anglo-normand était du dernier cri à l’époque, contrairement à la villa Cavrois qui, en 1929, était considérée comme une horreur…
À l’autre bout de la rue, la “chapelle du Croquet” a été érigée par Sigismond, seigneur de Croix, pour remercier la Vierge qui lui avait rendu la vue (voir plus bas dans l’église Saint-Martin). Détruite à la Révolution, elle a été reconstruite en 1863. En 1900, douze mille personnes faisaient un pèlerinage chaque année jusqu’à cette chapelle ! À l’époque, c’était encore un endroit campagnard où paissaient les vaches.
Vous pouvez toujours glisser une pièce, mais je doute que l’on vienne encore la récupérer 😉
Le jardin de l’EDHEC
Si vous aimez les jardins, vous pouvez également vous promener dans le joli jardin public de l’École de commerce dont le Campus est situé à la fois sur Roubaix et Croix.
Au début du 20ème siècle, Eugène Motte (grand industriel textile et maire de Roubaix de l’époque) avait acheté 20 hectares de parcelles afin d’y construire des maisons pour lui et ses fils. La plupart des parcelles ont peu à peu été revendues, et la seule villa encore existante est celle d’Eugène Motte fils. La maison et le parc alentour ont été rachetés par IBM en 1985, puis par la Caisse d’Épargne. L’EDHEC en est devenu propriétaire en 2005.
Petit détail à remarquer sur le balcon : les deux têtes de béliers sculptées dans le bois sombre, symbole de la famille qui fut propriétaire de la maison (les Motte étaient des “spécialistes” de la laine).
Le parc, peuplé d’arbres centenaires, est planté d’essences riches et variées : érables, hêtres, tilleuls, charmes, marronniers, ginkgo, chênes… Ainsi que des arbres rares : un cyprès chauve, un cèdre de l’Atlas et un tulipier de Virginie.
L’église Saint Martin de Croix
La construction de l’église Saint-Martin de Croix fut décidée en 1846 : la précédente était devenue trop exiguë pour la ville. L’architecte Charles Leroy (qui allait également dessiner Notre-Dame de la Treille à Lille ou l’église Saint-Christophe de Tourcoing) signa ici sa première œuvre. Il choisit de construire à Croix la première église “néo-gothique” de la région en s’inspirant des églises gothiques régionales.
Sorte de “prototype” des églises à venir, elle est construite en briques et en pierres blanches, avec un soubassement solide en pierres bleues. Sa façade, plutôt simple, est toutefois pourvue d’un haut portail et d’une rosace.
Édifiée entre 1847 et 1851, l’église Saint Martin se révéla finalement trop petite face à l’accroissement soudain de la population d’ouvriers textiles. L’architecte Alphonse Dubuisson se chargea de l’agrandir en respectant le style et les choix de Charles Leroy. Entre 1879 à 1883, un transept fut ainsi construit à l’emplacement de l’ancien chœur.
Le mobilier de l’église Saint-Martin date de sa construction, voire de son agrandissement : des fonts baptismaux et des plaques funéraires du début 19e siècle, des stalles et une table de communion de 1848… Le buffet d’orgue fut installé en 1926 et, l’année suivante fut ajoutée la “Descente de la Croix” du peintre Pharaon De Winter (originaire de Bailleul).
L’église Saint-Martin possède des fresques qui racontent des épisodes de l’histoire de Croix, mais illustrent aussi les croisades ou les saints associés à la monarchie française. Certaines peintures (réalisées dans le style “troubadour” qui s’inspirait directement du Moyen-Age) datent de la fin du 19ème siècle tandis que d’autres, au style plus moderne, ont été réalisées 1928 par deux peintres de l’école Saint-Luc de Tournai.
Les toiles marouflées du bras Nord du transept (peintes en 1928) racontent la légende de Sigismond, Seigneur de Croix, devenu aveugle, qui recouvra la vue grâce à la Sainte Vierge qui lui apparut.
Tout à droite de la fresque, on reconnait un soldat en uniforme “bleu horizon” de la Première Guerre mondiale, ainsi qu’une veuve en habits de deuil.
L’église Saint-Martin s’étant beaucoup dégradée au cours du siècle dernier, elle a été fermée durant plusieurs années pour des travaux de réfection qui lui ont rendu toute sa splendeur.
En 1926, on aménagea également un jardin autour de l’église où est encore installée une sculpture de la Trinité datant du 14e siècle.
Pour la réouverture de l’église, les espaces verts de la ville ont travaillé à un nouvel aménagement paysager sur le thème des jardins monastiques.
INFORMATIONS PRATIQUES
Adresse : Place de la République, Croix
Horaires : Vous pouvez visiter l’église Saint-Martin tous les mercredis et samedis matins de 10h à 12h. Des bénévoles vous accueillent et vous proposent une visite commentée d’1h.
Tarif : gratuit.
L’église Saint-Pierre de Croix
De style néo-roman, l’église Saint-Pierre fut la seconde des trois églises construites à Croix, après celle de Saint-Martin qui devenait à nouveau trop petite. Édifiée en 1889 dans un quartier construit autour d’elle et peuplé d’ouvriers, elle surplombe la vaste “place Saint-Pierre” qui fut renommée “place de la Liberté” en 1905.
Une statue de Saint-Pierre trône sur le fronton, entre les deux clochers qui s’élèvent à 27m de hauteur.
Elle a pour particularité que, depuis une vingtaine d’années, les croyants portugais de Roubaix et ses environs s’y rassemblent à Pâques, Noël et la Toussaint pour célébrer une messe en portugais.
INFORMATIONS PRATIQUES
Adresse : place de la liberté 59170 Croix
Le Cimetière de Croix
Autrefois cantonné aux pourtours de l’église Saint-Martin, le cimetière de Croix s’est agrandi et s’étend aujourd’hui plus au nord. Il présente plusieurs particularités qui font tout son intérêt.
Le monument aux “victimes du travail” fut édifié au milieu du 19e siècle pour commémorer les ouvriers et employés décédés accidentellement. À l’époque, la plupart des usines utilisaient des matériaux en bois et ne connaissaient pas la “sécurité incendie”… La plaque blanche est datée du 1er mai 1919, mais les derniers noms ont été gravés dans les années 1980.
“Défenseur des malheureux, amis des pauvres”, Louis Henri Seigneur fut maire de Croix de 1925 à 1940 sous la bannière du SFIO (socialiste). Représentant de commerce puis tenancier d’estaminet, il fut suspendu de ses mandats en 1940 sur décision du gouvernement de Vichy.
La tombe en forme de cercueil aux lourdes poignées de bronze de la famille Desfontaine, dont Henri, mort pour la France en janvier 1918 à l’âge de 25 ans.
Le monument aux morts du cimetière de Croix rend hommage aux soldats des guerres de 1870 à nos jours, aux victimes civiles des deux conflits mondiaux, ainsi qu’aux déportés du Train de Loos (septembre 1944).
Mais le cimetière accueille également un carré militaire 1914-1918 et un autre de 1939-1945, qui abrite des résistants et des civils fusillés par les nazis.
L’un des premiers soldats morts pour la France, Clément Sarantyn, est enterré au carré militaire de la Seconde Guerre Mondiale. Militant ouvrier chrétien, il est mort le 17 septembre 1939 sur la Ligne Maginot, à l’âge de 29 ans.
Dans le carré militaire de la Première Guerre Mondiale, les anciennes stèles de 1925, usées par le temps, ont été remplacées par de nouvelles en 2019.
Joseph Liviau est “Mort pour la France” à 23 ans, le 16 octobre 1917 à l’hôpital temporaire de Villers-Cotterêts, dans l’Aisne, d’une maladie contractée en service.
Le mur commémoratif en pierres bleues a lui aussi été remis en état. Selon le règlement militaire, “Le fleurissement des tombes militaires est confié à la garde de l’État et les aménagements ou ornementations spéciaux par les familles sont interdits.” Mais les familles ont évidemment ressenti le besoin de laisser une plaque, une photo, un mot tendre pour leurs disparus. La mairie de Croix a précieusement gardé ces émouvantes plaques blanches pour les exposer.
À ma grande surprise, j’ai trouvé de nombreuses tombes anciennes de Britanniques dans le cimetière de Croix. L’explication est finalement assez simple : en 1849, l’industriel Isaac Holden a emmené avec lui de jeunes ouvriers anglais à Croix. Ils s’y sont installés, mariés, et ont fini par y mourir.
Certaines tombes ont même des plaques déposées par le personnel des peignages Holden.
La brasserie Cambier
Après ces déambulations entre architecture et mémoire, vous méritez une belle pause dans cette “fabrique urbaine de bière artisanale”.
On y fabrique et vend une dizaine de bières dans deux gammes différentes : la Mongy et la Cambier. L’une de ses bières – la Mongy Triple – a même été primée !
Cette brasserie est ouverte au public : non seulement vous pouvez y déguster ou y acheter directement votre bière, mais de passionnantes visites guidées y sont organisées tous les samedis.
En savoir plus sur la brasserie Cambier.
Le long du canal de Roubaix
Pour terminer cette balade à Croix, promenons-nous, à pied ou à vélo, le long de “l’embranchement du canal de Roubaix”.
Imaginé par Vauban dès 1699 pour relier la Marque à l’Escaut, la construction du canal a débuté en 1827 pour que les péniches puissent transporter charbon, eau, laine, coton et tissus. Les travaux n’ont pas été achevés et la branche de Croix n’est qu’une impasse.
Le long de l’ancien chemin de halage revêtu de sable, une belle balade vous attend jusqu’au point de jonction entre le canal de Roubaix et la Marque canalisée, à Wasquehal.
La flore et la faune s’épanouissent le long du parcours entre canards, érables, poules d’eau, renouée du Japon, héron cendré et catalpa.
INFORMATIONS PRATIQUES
Adresse : Sur le pont de la D14, au croisement de l’avenue Le Nôtre et de la rue du Professeur Perrin.
Et si vous voulez vous balader plus longuement au bord de l’eau, vous pouvez préférer un bois au chemin de halage.
Une randonnée au bois de Warwamme
Une promenade dans les bois en pleine ville ? Une balade nature juste à côté d’un grand boulevard ? Oui, c’est possible. Situé à la limite entre Villeneuve d’Ascq et Croix, le Bois de Warwamme vous offre une paisible bulle d’évasion et un très joli point de vue sur le charmant château de Fontaine.
Le château de la Fontaine et son parc, restauré puis inscrit en 1951 à l’inventaire des monuments historiques, est l’un des plus beaux fleurons du patrimoine de Croix. Le bâtiment évoque le style renaissance flamande.
En savoir plus sur le Bois de Warwamme et le Château de la Fontaine
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J’espère que cet article vous aura donné des idées sur les choses à faire, quoi voir et quoi visiter à Croix pour une journée ou un week-end.
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